17/12/2022 - Dwarf Fortress

💾 test, 2022

En 2006, les roguelikes étaient à la mode. Je jouais à IVAN, ADOM, DCSS pour me gaver de fascinantes histoires aléatoires. Mais LE jeu qui promettait, c’était Dwarf Fortress, un mélange de gestion et roguelike, le tout au sein d’une simulation d’un monde complet - à l’opposé de ses concurrents, où seul le donjon était simulé.

Fast forward 16 ans plus tard, nous voici en Décembre 2022. Dwarf Fortress est sorti sur Steam, avec des graphismes pixel art et une interface entièrement pilotable à la souris. Ainsi, Dwarf Fortress a pu dépasser ses origines ASCII un peu trop “nerd” pour devenir enfin accessible à tous.

Alors, le pari est-il réussi? Ou Dwarf Fortress restera-t-il pour toujours un jeu pour barbu caché au fond d’une cave?

Le roi du pixel art

Admirez la lisibilité, le charme intemporel, et les détails qui fourmillent. Visuellement, Dwarf Fortress fait un sans-faute en cochant toutes les cases du tileset parfait. L’oeil apprend rapidement à distinguer les minéraux et matériaux-clé tandis que toute anomalie dans la forteresse (kobold, miasme ou chute de plafond) se remarque instantanément. De la même façon, les sprites des nains sont très variées. Le physique, les armes et l’équipement sont représentées fidèlement (mention spéciale aux nouveaux-nés qui ont déjà des barbes de 40cm de long).

Cet upgrade visuel ouvre de nouvelles perspectives pour la communauté. A l’époque ASCII, le jeu était très difficile à décrypter pour un oeil externe. Il fallait rédiger un rapport illustré pour pouvoir communiquer sur sa partie. Exemples connus: Boatmurdered ou Bronzemurder. Désormais, DF devient partageable, même streamable! (Par contre au secours, le Stream Overlay ne fonctionne pas pour l’instant dans le jeu…)

Une interface ultra efficace

Mais DF, ce n’est pas que les graphismes, c’est aussi la nouvelle interface. Ici, nul ornement inutile. La police terminal et les couleurs primaires sont simples et efficaces. De ce côté, on reste dans l’ambiance roguelike ou MUD des années 90-2000, ce qui est carrément royal.

Le pilotage à la souris, lui, nécessite un petit temps d’adaptation (non, la molette ne zoome pas!). Mais une fois les automatismes pris, on se surprend à essayer de faire une sélection rectangle dans Photoshop en cliquant une fois en haut à gauche et une fois en bas à droite, comme dans le jeu!

Le générateur d’histoire par excellence

Alors je vais parler un peu de Rimworld qui se vend comme un générateur d’histoire. Mais on le connait, Rimworld - en plissant les yeux on voit à travers ses mécanismes. Cassandra? Une lente et inexorable courbe de violence qui tente de nous mettre à genoux en se calant sur notre niveau de fortune. Randy? Comme si du 100% aléatoire fortement pondéré pour dropper du lait et de l’uranium allait générer une histoire. Bref, en changeant de narrateur dans Rimworld, on change simplement une fonction qui détermine la fréquence des raids et des drops.

Contrairement à Rimworld, DF n’utilise pas un processus unique pour générer des histoires. C’est par la richesse de sa simulation, des détails évoluant à gauche et à droite, que le joueur s’immerge petit à petit dans le monde. Si Rimworld est Aristote, alors DF est Copernic. Ici le monde ne tourne pas autour de notre forteresse. Et ce monde ne nous donnera pas d’objectif précis, pas d’endgame. Dans DF, de nombreux évènements peuvent nous glisser sous le nez. Il n’y a pas de notification pour tout. Il faut lire, dérouler les menus, faire quelques recoupements et noter des noms sur un papier.

Je n’avais pas de médecin-chef et j’ai appointé le pêcheur en me disant qu’il allait monter petit à petit en médecine. Mais c’est lorsque j’ai revu sa première patiente en train de se saouler à la taverne que j’ai compris qu’il lui avait suturé les fractures avec… de la laine (et si vous continuez à lire, vous verrez qu’elle a aussi reçu de la laine dans le poumon).

Bien sûr, on peut jouer à DF façon Rimworld, en ne lisant aucun texte et en se concentrant sur le combat. Mais ca serait rater les préférences esthétiques de vos nains, leurs mémoires à long terme enregistrant tous leurs traumatismes, les rumeurs, les changements de gouvernement qui foreshadow un artefact ou une invasion. Veut-on passer à côté de ce monde vivant? Non!

Le jeu de gestion obsessionnel

DF est évidemment un jeu très costaud au niveau de la gestion. Petit rappel:

  • les nombreuses industries inter-dépendantes avec de multiples étapes de craft (ex: faire un instrument de musique, forger des alliages ou sertir des objets déjà fabriqués)
  • la fameuse gestion des fluides qui permet de créer de nombreux mécanismes (pièges, puits, pont-levis)… ou de noyer sa forteresse en cas d’erreur
  • l’axe Z, ultra-simple à naviguer grâce à la nouvelle interface, qui permet de structurer sa forteresse en 3D
  • la simulation géologique extrêmement poussée qui permet de deviner (avec de l’entraînement) où se trouve telle gemme ou tel métal, en fonction de la strate et du type de roche
  • la gestion des zones et des lieux, permettant de créer des tavernes, hall de guilde, temples, pâturages etc. On peut même créer de véritables lieux d’accueil publics et attirer ainsi des résidents rares (chercheurs, artistes etc)
  • la gestion militaire, basée sur des équipes de 10 nains. Chaque équipe a son identité et peut recevoir des ordres de patrouille ou juste s’entraîner dans sa caserne
  • la balance entre bien-être et sécurité: les nains veulent voir l’oeuvre d’art XYZ sur un piedéstal en platine, mais les démonstrations de fortune attirent les voleurs. De la même façon, les enfants peuvent se promener partout dans la forteresse, mais des kidnappeurs rôdent!

Les nouveautés de la version Steam

La version Steam apporte plusieurs nouveautés qui en plus de l’interace graphique justifient totalement les 30€ du jeu pour un nouveau venu sur le jeu:

  • la musique d’ambiance: le choix de la musique de DF est parfait. Ce n’est ni une musique ultra-répétitive qui râpe les tympans, ni une musique timide qui donne envie de dormir. D’ailleurs, elle ne se déclenche pas tout le temps. Un excellent choix.
  • le tutorial débutants: le tutorial est si humble qu’il pourrait passer pour un tuto de jeu de gestion lambda. Il est très peu invasif et permet de jouer rapidement, tout en survolant 80% du jeu.
  • l’aide en ligne: le bouton ? permet de découvrir des explications basiques semi-guidées sur plusieurs aspects du jeu. Un système à l’ancienne, bien meilleur que les notifications-tuto de Rimworld qu’on n’ouvre jamais.
  • l’intégration au Steam Workshop: à l’heure où j’écris, plusieurs petits mods graphiques ou de contenu sont déjà sortis. Une très bonne augure pour le futur.

Verdict

Dwarf Fortress a toujours été un excellent jeu, mais il a été longtemps caché dans la pénombre de l’ASCII. La version graphique et jouable à la souris atteint l’équilibre parfait entre l’esthétique, la lisibilité, l’efficacité et la complexité. Avec cette version, Dwarf Fortress approche de l’immortalité. 10/10 sans hésitation.